Mireille PIRIS – Dans la Presse

Le Dauphiné Libéré – 26/12/2017

Comment vous est venu le goût de l’écriture ?

Je ne dirai pas depuis toujours, en tous cas depuis très longtemps ! C’est lié au goût de la lecture et à la voix. Dés l’école primaire, je récitais les poèmes avec ardeur, je me souviens aujourd’hui encore de certains vers. Ma vie professionnelle a été mêlée à l’écriture, de spectacles, de chansons, dans un premier temps, puis d’articles dans différentes revues. J’ai souvent eu le besoin d’articuler la réflexion à ma pratique, d’en laisser trace et de partager. Le partage est une notion essentielle pour moi, imaginez un livre non lu !

Quelle est l’inspiration de votre livre « Boulevard des Orangers » ?

Blida est le lieu ou se sont baladées mon enfance et mon adolescence. Seize ans dont huit de ce que l’on a mis longtemps à appeler Guerre d’Algérie. Seize ans ponctués d’étés dans la Drôme et le Vaucluse. La gamine a grandi dans ces allers-retours.

Il y a plusieurs années que j’ai commencé à écrire ces fragments. J’aime cette forme littéraire, qui raconte beaucoup très brièvement, où il faut être à la fois précis et allusif. Et j’ajouterai impressionniste et poétique. Chaque fragment évoque un paysage, une personne, un moment de vie. Et puis il a bien fallu rassembler tous ces feuillets !  Le lien évident a été l’eau. L’eau, la mer, le paquebot, la nage…

Peu à peu aussi s’est construit le désir de témoigner. Un grand silence a suivi cet épisode douloureux de l’Histoire, une chape de silences, quels que soient les acteurs. Militaires, harkis, rapatriés… Mais aujourd’hui ces acteurs vieillissent, et certains ont envie de laisser trace.

Avez-vous d’autres projets d’écriture ?

J’écris, depuis plusieurs années, des nouvelles. Oui, j’aime les formes courtes. Et oui, le prochain livre sera un recueil de certaines de ces nouvelles, enfin, je l’espère. Quant à la poésie, j’en suis pour l’instant mon unique confidente…

À la lecture de votre biographie, vous avez eu une carrière éclectique. Laquelle de toutes ces carrières avez-vous préféré ?

Cela peut paraître ainsi, mais j’ai vécu cela plutôt en terme de transformation, d’évolution. Quitter la psychologie pour faire du théâtre, puis de l’animation, y revenir par le psychodrame. Puis dans mon métier de formatrice, aider à la construction ou à l’évolution des personnes et des groupes en me servant de toutes ces expériences-là, vous voyez, il y a du lien.

Et aujourd’hui, si je pratique alternativement l’écriture, la peinture ou la photographie, je ne me sens pas particulièrement cloisonnée. Enfin, si, je vous l’avoue, de temps en temps un peu, mais c’est parce que la vie est trop courte !

Propos recueillis par Frank PREVOT

Coup de Soleil en Rhône-Alpes – 31/ 03/2018

Source : www.coupdesoleil-rhonealpes.fr/cultures-franco-maghrebines-lettre-21

Dans un petit livre très récent de Mireille Piris, Boulevard des Orangers, on trouve la brève évocation d’un souvenir de l’auteure qui a vécu jusqu’à l’âge de 16 ans à Blida, ayant quitté l’Algérie pour la France, comme tant d’autres, en 1962.  Plutôt que de faire un récit linéaire de ce qui a précédé ce départ, elle choisit de l’évoquer sous la forme de fragments poétiques, qui relèvent de la mémoire affective, en marge de l’Histoire et ne l’évoquant que très indirectement et sans dates.

Incontestablement, comme on l’aura compris, sa famille appartient à la communauté Pied-noir, et c’est dans cette malheureuse partition entre les deux camps qu’elle vit les épisodes sanglants de la Guerre d’Algérie. On a souvent dit à très juste titre à quel point les enfants sont traumatisés quand ils se trouvent mêlés à d’aussi terribles événements. Or ce n’est pas dans cet esprit qu’elle évoque un bref épisode qui date sans doute de la période de l’OAS. Quoi qu’il en soit, elle se trouve prise en pleine rue dans une fusillade,  crépitements, claquements, cris etc. mais elle n’est pas la seule à y risquer sa vie : un petit garçon kabyle est là lui aussi et voici comment elle évoque, à sa manière indirecte, ce qui s’est passé : « Si dans le même instant je n’avais pas entraîné cet enfant kabyle dans un plongeon sur le trottoir, je n’aurais jamais rencontré, dans l’ineffable silence qui suivit, son regard, je n’y aurais pas vu la stupeur, la terreur, l’étonnement qu’une Française le protège et le prenne dans ses bras. »

A ce moment il devient tout à fait évident que ce ne sont pas les faits, les actes ni les gestes (encore moins les paroles puisque de toute façon il n’y en a pas eu) qui se sont fixés dans sa mémoire mais quelque chose d’ineffable comme elle le dit, qui justement ne passe pas par les mots. C’est quelque chose qui ne s’efface pas ni à travers l’espace ni à travers la durée, quelque chose qu’elle a pu voir pendant quelques secondes, le sourire de l’enfant. Après quoi ils se sont relevés tous les deux et se sont séparés : « Chacun son chemin. Je ne crois pas l’avoir jamais revu… » Et ce sont bien ces quelques secondes-là qu’on peut appeler des moments volés à l’histoire. Libre à chacun d’imaginer et de rêver : est-ce que le petit garçon lui aussi s’en souvient grâce à cette mémoire affective (sur laquelle la volonté ne peut rien) qu’on appelle aussi la mémoire proustienne, parce que c’est sur elle que Proust a construit toute sa fresque romanesque ; et nous comprenons, grâce à ces quelques lignes de Mireille Piris, qu’elle n’a rien à voir avec la représentation objective (autant que faire se peut) recherchée par les historiens.

Mireille Piris a l’art d’évoquer des moments qui comme on peut le voir par l’exemple précédent n’ont rien d’anodin. Mais elle le fait sans pathos ni pesanteur, on dirait plutôt que de son texte se dégage une sorte de grâce, d’essence poétique, qui témoigne de son talent d’écrivain.

Denise Brahimi

 

Le petit récit de Mireille Piris, joliment édité par la maison toulousaine N&B ressemble à une succession de petits poèmes en prose, autant de fractions de souvenirs d’enfance. Des traversées en bateaux scandent les parties algériennes, Blida, Chréa, Tipasa, et les parties provençales, tensions entre les appartenances du couple de ses parents, l’une, provençale, l’autre français d’Algérie, tensions tout court entre les deux parents… « Mon Dieu, je vous en supplie, faites que mes parents divorcent ».

« Entre deux rives, entre deux nages, je rage… » Un très beau poème sur cet entre-deux qui résume cette période de vie pose quelques mots justes comme la clé de ce récit.

Par petites touches, les paysages, les situations, les sentiments surgissent, peints de belles couleurs, sans omettre senteurs, températures, sonorités, goûts : la palette de l’auteure est riche et quand ses souvenirs rejoignent ceux du lecteur, on a un plaisir gourmand à partager une telle évidence

Il faut dire que pour bien des personnes nées en Algérie, la place centrale de Blida, son kiosque et son décor de province française sont reconnaissables comme une carte postale… Les petites histoires intimes et les sensations de la petite fille ou de l’adolescente rencontrent parfois la grande Histoire (le déclenchement de la guerre en novembre 1954, appris au retour de Tipasa, la visite de De Gaulle à Blida en mai 58) ou le drame, celui évité narré ci-dessus par Denise Brahimi, ou l’annonce de la mort de l’amoureux dans un attentat à la bombe à Boufarik. Terrible description si concise du corps de son amoureux de 17 ans !

Le récit est ponctué par des bains de mer qui régénèrent, font oublier…

La fin, de départ d’Algérie vient vite, avec toujours la même concision et pourtant des évocations précises et poétiques.

Ce petit livre si riche et sensuel est comme un fruit généreux, cueilli au Boulevard des Orangers.

Michel Wilson

Saint-Paul Trois Châteaux – Magazine municipal N° 53 – Mars 2020

Source : https://fr.calameo.com/books/005092685d85586452640

La plume en guise de pinceau

Née à Blida en Algérie, Mireille Piris a 16 ans en 1962 lorsqu’elle rentre définitivement en France ; une dernière traversée qui marquera toute une génération. Formatrice et psychodramatiste, la Tricastine a choisi de se consacrer à l’écriture après une carrière éclectique et remplie d’art. Celle qui se dit gourmande des mots, publie un recueil de nouvelles, Une étrange modernité. Riche de deux cultures, son premier ouvrage rappelait les tableaux impressionnistes. Des fragments de vie et d’histoire d’une grande sensualité. Des odeurs. Des couleurs. On entend le murmure des arbres, on sent le sel picoter sur la peau et cette mer en filigrane dans sa vie comme dans ses écrits.

Mireille, qu’est-ce qui vous inspire ?

Je fais feu de tout bois. Ma vie, bien sûr, puisque plusieurs de mes nouvelles sont d’inspiration autobiographique, mais aussi les émotions, un paysage, les gens, tout ce qui nous étonne et nous fait vibrer. Je ne suis pas quelqu’un qui structure d’abord. Quand je commence à écrire, je ne sais pas comment le récit va se terminer. Une nouvelle, c’est une aventure, on suit un personnage, un autre. L’imaginaire est une construction qui part du vécu.

L’art est très présent dans vos écrits ?

Et les situations sociales d’aujourd’hui. Mais quand l’art se mèle à la vie, il la rend plus belle. On peut être artiste, cultiver une fibre artistique ou être seulement spectateur. L’art aide aussi à soigner. J’ai vu dans ma carrière des gens se tranformer physiquement, se reconstruire à travers les mots ou le langage du théâtre. Toute forme d’art est bénéfique, il sublime la réalité.

Avez-vous d’autres projets d’écriture ?

J’ai d’autres nouvelles en réserve. Je travaille sur des éloges, de la fatigue, de l’hésitation, des thèmes dont on parle peu mais qui sont ancrés dans nos corps. Un roman peut-être aussi, j’ai quelques pistes…